Chaloupe

TAFTA : la CLCV opposée au secret des discussions et à un tribunal privé demande

Plusieurs dénominations désignent le projet de « grand marché transatlantique », qu’elles soient anglophones (TAFTA - Trans Atlantic Free Trade Agreement ; TTIP - Transatlantic Trade and Investment Partnership) ou francophones (PTCI - Partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement).
L'objectif officiel de ce projet de grand traité de libre-échange entre les USA et l'Union européenne est de libéraliser les échanges commerciaux entre les deux parties en éliminant les droits de douane et en harmonisant les normes culturelles, économiques et sociales.
Le 11e cycle de négociations qui s’est tenu du 19 au 23 octobre à Miami entre les USA et la délégation de la commission européenne a réaffirmé l'objectif de conclure les négociations avant l’élection présidentielle américaine (début novembre 2016).

Revue de la question en six points :

 

 

1- Déficit démocratique
Le 14 juin 2013, le Conseil de l’Union Européenne (chefs d’Etat et de gouvernement) a donné mandat à la Commission Européenne d’ouvrir des négociations avec les États-Unis en vue d’aboutir à un accord transatlantique pour créer le plus vaste marché du monde. Les négociations sont menées depuis cette date par la Commission européenne sur ce mandat qui n'a été rendu public qu'en octobre 2014 avec la nouvelle commission européenne.

De plus, les négociations qui se déroulent par étapes (la dernière à Miami en novembre 2015) ne sont pas accessibles au grand public. Les textes pouvaient, jusqu'en juillet 2015, être simplement consultés par les députés européens, et seulement dans une salle particulière sans téléphone portable... Pour autant, 78 % des députés européens ont validé le principe du traité en 2013.
La Commission de Bruxelles a tenté de répondre aux critiques en organisant le 6 juillet 2014 une consultation par internet en invitant les citoyens à donner leur opinion sur 12 aspects du traité. Mais cette consultation, d'une part, ne permettait pas de manifester son opposition au projet et, d'autre part, ne portait que sur la mise en place du dispositif de règlement (voir point n° 2) !
Evolution très grave : depuis le 27 juillet 2015, les textes en débat ne sont plus accessibles que dans des salles de lecture ultra sécurisées à Bruxelles ou dans les ambassades américaines… en raison des fuites qui se sont produites ! Certes, sur le site de la commission on peut prendre connaissance des postions des deux parties, mais ces textes sont souvent décalés et insuffisants.

Pour la CLCV, ce secret est inadmissible. Ce mandat ainsi que tous les textes négociés doivent être rendus publics et mis au débat public ! Un mandat et des comptes rendus secrets sont antidémocratiques. A l'heure où beaucoup de citoyens s'interrogent sur le déficit démocratique dont souffre l'Union, cette position ne fait que renforcer les euro-sceptiques.

2- Un libre-échange qui s'appelle déréglementation des droits des consommateurs pour le plus grand profit des entreprises
Cet accord de libre-échange vise à constituer un marché commun de 820 millions de consommateurs qui pèse 45 % du PIB de la planète. Mais cet accord ne porte pas principalement sur les droits de douane, car les droits de douane moyens entre les deux zones sont aujourd'hui très faibles (de l'ordre de 2 % seulement : 5,2 % en Europe contre 3,5 % aux USA), même s'il y a des pics tarifaires : les USA imposent des taxes de 22 % sur les produits laitiers de l'Europe et l'Union européenne protège l'agriculture avec des droits de douane de 13 %.
En réalité, l'objet de l'accord est en priorité l'élimination des barrières dites non tarifaires, c'est-à-dire la réduction, voire la suppression des normes sociales, culturelles, écologiques, sanitaires et d'hygiène dont les USA (et en premier lieu leurs multinationales) ne veulent pas car elles sont selon eux un obstacle à la liberté des exportations.

Ainsi, au pays du marché roi (entendons du profit à tout crin), les mentions sur les produits n'ont aucune valeur. Par exemple, aux USA n'importe quel producteur peut choisir de qualifier sa production d'un nom européen (Champagne, Porto, etc.). Par ailleurs, les principes européens de régulation (principe de précaution quand on a un doute sur la nocivité des produits, droit du travail, normes sanitaires, etc.) n'ont pas ou peu droit de cité. La régulation américaine est fondée sur les dommages a posteriori, c'est-à-dire quand ils sont survenus et qu'on peut les prouver.
Or, la France et l'Europe disposent d'un niveau élevé de protection des consommateurs approuvé par le parlement européen et les pouvoirs publics français. Citons entre autres choses :

  * en matière de sécurité alimentaire pourraient être condamnés :
      - l'étiquetage le plus complet possible des produits notamment alimentaires (composition, origine...) ;
      - l'interdiction d'utiliser l'hormone de croissance dans les élevages ;
      - l'interdiction du poulet nettoyé au chlore utilisé couramment aux USA ! ;
      - l'interdiction de la culture des OGM aujourd'hui banalisée aux USA ;
      - les appellations d'origine contrôlée ;
      - le faible niveau de pesticides ;
      - etc.

  * dans le domaine de la santé :
      - la distribution des génériques pourrait être remise en question.

  * dans le domaine des services publics :
      - les services d'urgence pourraient être privatisés ;
      - le statut des caisses primaires d'assurance maladie pourrait être contesté au nom de la concurrence :
      - certains services de l'Education nationale seraient remis en question : cantines scolaires et universitaires
      - le champ des services publics pourrait être fortement réduit.

  * dans le domaine de l'énergie :
      - l'eau et l'énergie pourraient être privatisées : remise en question des sociétés publiques locales (de l'eau par exemple), liberté totale des du prix du gaz et de l'électricité... ;
      - l'interdiction de la fracturation hydraulique pour exploiter le gaz de schiste serait considérée comme une atteinte au droit de l'entreprise.

  * et bien entendu, contestation de l'exception culturelle française.

Toutes ces règles et spécificités françaises et européennes pourraient être condamnées comme «barrières commerciales illégales ».

Pour la CLCV, les principes français et européens, fruit de luttes et de négociations historiques, sont des acquis essentiels. Ils font désormais partie intégrante de nos valeurs, de notre culture, de notre héritage commun. Ils protègent les consommateurs-citoyens qui ne peuvent accepter que ces droits soient tirés vers le bas ou simplement supprimés. A la Commission européenne de se battre pour maintenir un haut niveau de protection des consommateurs. Certes, la Commission européenne a annoncé qu'elle ne réduirait pas ses exigences en ce qui concerne les normes sanitaires et d'hygiène. Mais les consommateurs devront être vigilants sur cette question et refuser catégoriquement toute déréglementation.

3- Un tribunal privé qui bafoue l'indépendance de la justice et la démocratie
C'est le point le plus contesté par la société civile. Les litiges existants seraient portés par les entreprises lésées par les décisions des Etats devant un tribunal arbitral supranational qu'on appelle ISDS. Dans les nombreux accords de libre-échange existants dans le monde, une telle juridiction privée est en général composée de trois avocats d'affaires : un avocat représentant de l'entreprise plaignante (juge un jour et le lendemain conseiller d'entreprise !), un deuxième représentant l'Etat attaqué et le troisième choisi d'un commun accord entre les deux parties. Selon les statistiques données par l'ONU, cette procédure d'arbitrage bénéficie largement aux entreprises multinationales, remettant ainsi en question le droit même des Etats de disposer d'une législation souveraine. Ce système est déjà mis en œuvre dans de nombreux accords bilatéraux et au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis 1985, où la légitimité de l'Organe de règlement des différends (ORD) est aujourd'hui largement contestée. Quant à l'OMC, elle est complètement contournée par les accords bilatéraux et dépassée par la montée en puissance des pays émergents. La France a récemment proposé que cette instance privée soit remplacée par une juridiction publique de règlement des différends en matière d'investissement. La Commission européenne, suite à la consultation qu'elle avait organisée pour répondre à l'inquiétude de la société civile, a proposé la création d'une Cour internationale publique. Les USA ont opposé une fin brutale de non-recevoir.

Pour la CLCV, cette procédure arbitrale privée qui se place d'emblée au-dessus des lois des Etats, ne respecte pas le droit démocratique des peuples à disposer de leur destin. Elle est totalement inacceptable. Rappelons que le programme national du Conseil national de la résistance, qui fonde toujours notre cohésion sociale, a posé comme principe l'indépendance des institutions judiciaires. La France et l'Allemagne, pour l'instant, ont manifesté leur refus d'une telle procédure d'arbitrage. La Commission européenne et à sa tête Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée du commerce international, doit s'y opposer catégoriquement !

4- Des créations d'emploi bien aléatoires
Il y a derrière ce traité l'idée que la « libéralisation » absolue des échanges sera créatrice d'emploi. C'était déjà l'objectif de l'accord de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1994. Selon une étude, l'accord permettrait de créer 2 millions d'emplois entre les USA et l'Europe, dont 121 000 en France. Mais selon une autre étude demandée par la Commission européenne, les gains de croissance par rapport au PIB seraient minimes : de 0,1 à 0,5 % en 10 ans en Europe ! D'autres études estiment que le gain serait nul puisque les échanges entre les pays européens diminueraient au profit des USA...

5- Point rapide des dernières négociations
Aux dernières négociations de Miami en septembre, les deux parties sont parvenues à s’accorder sur des offres réciproques similaires : le taux global d'ouverture des marchés s'affiche à 97 % de lignes tarifaires libéralisées et 3 % protégées (contre 96 % proposé par l'UE et 80 % par les USA en 2014). Mais quel serait le calendrier ? Et quel sera le niveau de protection des 3 % ?
Sur les services, les négociations montrent que l'engagement de la commission européenne ne peut être garanti car ne seraient exclus du champ d'application que les services qui relèvent des fonctions dites régaliennes (sécurité intérieure ou extérieure, justice, gestion de la fiscalité).
Par ailleurs, les USA refusent de discuter un certain nombre des demandes clés de l’UE : les indications géographiques protégées, un chapitre spécifique sur l'énergie, la réglementation des services financiers, le développement durable, etc.
Enfin, aucune évolution ne s'est concrétisée sur la question clé du tribunal privé d'arbitrage et le caractère secret des négociations s'est encore renforcé.

6- Un mouvement citoyen contre le TAFTA
Le Secrétaire d’État au Commerce extérieur, Mathias Fekl, a annoncé récemment (journal Sud Ouest du 27 septembre 2015) que la France envisageait toutes les options y compris l’arrêt pur et simple des négociations transatlantiques qui se déroulent dans un manque total de transparence et dans une grande opacité, ce qui pose un problème démocratique.

La société civile et les institutions se mobilisent comme en témoigne l'ampleur que prend le mouvement « hors TAFTA » en France comme en Europe :
      - Une grande pétition européenne (Stop TAFTA) a recueilli 3 millions de signatures dans 14 pays différents.
      - Plus de 200 000 personnes ont manifesté le 15 octobre 2015 à Berlin contre le TAFTA.
      - Des collectivités de plus en plus nombreuses se déclarent « hors TAFTA » :
   * des régions :
Ile de France, PACA, Picardie, Nord-Pas de Calais, Franche-Comté, Champagne-Ardenne, Pays de Loire, Poitou-Charentes, Corse…
   * des départements : Hérault, Seine-Saint-Denis, Corrèze, Somme, Pyrénées Atlantiques, Dordogne, Essonne, Yonne, Allier, Val-de-Marne, Deux-Sèvres, Haute-Saône, Nièvre, etc.
   * des communes : Dunkerque, Cherbourg, Grenoble, Périgueux, Dieppe, Saint-Herblain, Poitiers, etc. En Finistère : Trégunc, Saint-Jean-Trolimon, Botmeur, Saint-Yvi, Berrien, Huelgoat, Carhaix, La Feuillée, Motreff, Bannalec, etc.

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En conclusion, l'enjeu de ces discussions dont le terme est annoncé pour la fin 2016 (fin de mandat du président américain) est certainement, au-delà du marché commun transatlantique, d'imposer un jour à l'ensemble de la planète ces normes communes qui auront été négociées de part et d'autre de l'Atlantique. C'est pourquoi l'Union européenne ne doit céder ni sur le haut niveau de protection des consommateurs, ni sur le tribunal arbitral.

La CLCV considère que, face à un tel projet, les consommateurs et les citoyens doivent se mobiliser, car si le Conseil européen peut autoriser la signature d'un accord négocié par la Commission libérale de Bruxelles, seul le Parlement européen (qui sur le principe a déjà donné son accord) peut le ratifier. Par ailleurs, comme ce projet traite de compétences dites partagées, le projet devra aussi être ratifié par les parlements des 28 Etats de l'Union européenne.

Compte tenu notamment du secret dans lequel se déroulent les négociations, du caractère inacceptable du tribunal privé et de la remise en question du fort niveau de protection des consommateurs dont nous disposons actuellement, la CLCV demande l'arrêt des discussions sur le TAFTA.